Philippe Stévenin, ACS France.

ECR 2018.

Introduction

L’arrivée des nouvelles technologies, notamment cellulaires et tissulaires, a ajouté des finalités à la médecine : soigner, traiter mais aussi reconstruire ou régénérer les tissus lésés. Nous passons ainsi d’une médecine « solutionniste » à une médecine « évolutionniste ».

Tous ces progrès scientifiques et techniques sont vécus par les patients comme une chance d’améliorer leur mobilité, de limiter leur souffrance, de contribuer à un allongement possible de leur vie dans des conditions de mieux-être.

Face à cet espoir, les principes éthiques peuvent passer au deuxième plan.

Mais qu’est-ce que l’éthique ?

Éthique ?

Les Grecs nommaient « éthique » la recherche du bien-vivre individuel et collectif. C’est vers l’éthique que les sociétés modernes se tournent afin de déterminer les conditions qui nous permettraient de nous entendre sur les idéaux à poursuivre.

L’éthique cherche à identifier les critères du bien-vivre individuel et collectif, elle tient compte des circonstances et des éléments qui composent l’environnement existentiel des hommes et donc la présence des animaux et des « machines ».

Sa vocation est d’assurer la cohérence et la pacification des rapports de l’individu avec ce qui l’entoure.

« Ce que nous appelons éthique n’est en fait que le miroir de notre maturité sociale à accepter ou à refuser les conséquences des avancées de la science et des techniques sans l’aide d’un quelconque projet transcendantal. » (Guy Vallancien)

Pour Jean-François Mattei, « l’éthique n’est pas une science, mais un questionnement pour tenter de se forger des convictions et assumer ses responsabilités. »

L’éthique est une réflexion active, collective et constructive sur les valeurs qui conditionnent le respect et le souci de l’autre.

Nous pouvons faire rimer le mot « technique » avec le mot « éthique ». Ces deux termes sont supposés être porteurs de la meilleure efficience possible tout en obtenant des hommes qu’ils s’évertuent à préserver entre eux l’équilibre et l’harmonie.

Une médecine pour soigner et reconstruire

Les progrès de la technique se sont démultipliés dans tous les domaines et en particulier dans celui de la santé. L’accélération n’est plus linéaire mais elle est d’une « transition fulgurante » pour reprendre les termes de Pierre Giorgini. En ce qui concerne le corps et la santé chacun ne peut que se réjouir de vivre plus longtemps, de moins souffrir, d’être protégé de nombreuses maladies. Et la plus grande majorité des occidentaux devient plus exigeante à l’égard de la médecine, informée par internet des dernières découvertes thérapeutiques chacun devient demandeur de soins et d’amélioration, pour lui-même ou sa descendance. Cette impatience se traduit par une pression sur le corps médical et sur les chercheurs.

Dans le même temps elle génère aussi des peurs et des croyances issues de fausses informations. Pour Jean Michel Besnier : « L’heure est aux manipulations de tous ordres, procréations, Xénogreffes, recours aux cellules souches. Toutes ces manipulations sont perçues -à tort ou à raison – comme la transgression de limites naturelles et par suite comme la contestation inquiétante ou salutaire de l’intégrité du vivant ».

Ces améliorations sont souhaitables et bénéfiques mais il faut observer 3 conditions :

  • Respecter la liberté et l’autonomie de chacun

  • Maximiser les bénéfices et minimiser les risques en matière de santé et de sécurité

  • Respecter la justice et favoriser l’équité.

« Car il s’agit moins de comprendre comment la technologie va changer notre quotidien que de comprendre comment elle va transformer notre nature humaine.

…Et pourtant, l’essence de l’homme n’est-elle pas dans sa capacité à dépasser ses limites ?

Principes éthiques, parents pauvres des innovations technologiques ?

En France, la production et l’utilisation des cellules souches sont encadrées par la loi, et les essais cliniques sont soumis aux comités d’éthique de protection des personnes. Mais ce qui n’est pas acceptable/légal en France, l’est-il à l’étranger ? Ne sommes-nous pas soumis, nous patients, à la pression des bénéfices espérés issues de recherches menées dans le monde entier quelle que soit la législation ?

« Quand une technologie permet quelque chose, cela finit par se faire » selon la loi de Murphy.

L’ISSCR (International Society for Stem Cell Research) a d’ailleurs manifesté sur son site web « de grandes inquiétudes face à la vente de thérapies à base de cellules souches dans le monde avant même que ces thérapies aient démontré leur sûreté et leur efficacité. »

La complexité de ces avancées scientifiques nécessite une information fiable, vulgarisée et largement diffusée pour éviter les dérives tant sur les expérimentations elles-mêmes que sur les applications chez l’homme.

De la rumeur à l’information fiable

Les cellules souches greffées peuvent demeurer dans l’organisme de nombreuses années, les patients doivent savoir comment sont évalués les bénéfices, si ceux-ci perdurent dans le temps et s’il existe des effets secondaires à long terme. On peut se demander si un suivi particulier est prévu après ces traitements encore expérimentaux. D’autre part, les patients qui reçoivent ce type de traitement doivent être informés de la possibilité ou non de participer par la suite à un autre essai clinique ou de recevoir un autre traitement. Il y a 2 axes importants à prendre en considération :

Le respect de l’autre

  • C’est d’abord celui de sa liberté, qui en médecine s’exprime en termes d’autonomie : elle reconnait au patient le droit après information d’accepter ou de refuser un examen ou un traitement.

    • Formulaire de consentement éclairé avec description détaillée du traitement dans un langage que le patient peut comprendre. Il doit expliquer les options de traitement, les risques, les droits, les responsabilités. Dans un échange avec un spécialiste du traitement. Les risques associés, les effets indésirables possibles, les coûts du traitement.

  • Confidentialité

  • Équité : égalité des chances.

Le souci de l’autre

  • Concerne sa qualité de vie.

  • Compétence

  • Dignité de la personne

  • Solidarité

Toutefois trop d’information tue l’information pour les patients.

Quelle égalité pour bénéficier des nouvelles thérapies cellulaires ?

Un autre aspect sensible de ces thérapies concerne leur accessibilité. Des différences dans la prise en charge des patients selon leur lieu de résidence sont souvent observées et critiquées. Pour ces nouvelles thérapies qui demandent une haute technicité et des conditions matérielles et humaines particulières, ces différences ne vont’ elles pas s’accentuer ?

Quel coût ?

Aspects économiques :

Des brevets sont aujourd’hui sollicités par des laboratoires pharmaceutiques pour des cellules humaines ou transgéniques.

  • Ex la société Biocyte a réclamé un brevet et obtenu en 1997 pour l’usage de cellules humaines du cordon ombilical permettant de faire des greffes de moelle. Le mérite de l’entreprise est d’avoir isolé ces cellules et de les avoir congelées. L’entreprise peut ainsi revendre l’usage de ces cellules ou de les refuser à ceux qui ne voudraient pas payer. La société possède ainsi la propriété commerciale de cette partie du corps humain ; Pour Axel Kahn tous les parents du monde ne peuvent empêcher que les cellules sanguines ombilicales de leur bébé deviennent la propriété intellectuelle de Biocyte et que ces mêmes cellules soient prélevées au bénéfice de l’entreprise.

Le corps humain devient un continent à exploiter que des chercheurs explorent et dont ils entendent tirer bénéfice. « Au temps des anatomistes, on se contentait de désigner de son nom tel fragment du corps, aujourd’hui on se l’approprie pour en gérer économiquement les avantages. » (David Le Breton)

Quelle prise en charge possible ?

Enfin, comme pour la plupart des thérapies innovantes, la question des coûts de ces thérapies cellulaires et de leur prise en charge par l’assurance maladie posera inévitablement un problème aux politiques de santé. Dans des maladies chroniques douloureuses et handicapantes comme les rhumatismes, on peut se demander si les critères des experts pour l’évaluation des coûts/bénéfices prennent bien en compte la qualité de vie du patient dans son ensemble.

Conclusion

Nous sommes devenus de plus en plus assujettis aux contraintes imposées par la complexité de nos techniques. Nous ne pouvons pas stopper le futur, alors efforçons nous d’en suivre les méandres sans a priori, imaginons, adaptons, avançons avec de nouvelles pensées, de nouvelles règles, de nouvelles éthiques. Car l’humanisme classique qui préside encore dans les débats d’éthique a besoin de prendre en compte les dimensions scientifiques et techniques actuelles en plus des aspects philosophiques qui l’ont constitué en France contrairement aux pays anglo-saxons dans lesquels la technique a pris rapidement une place importante. Avec Gilbert Hottois nous pouvons nous poser la question : « cet humanisme ne devient-il pas obsolète, un simple moralisme, face à l’évolution de nos sociétés et aux attentes des générations futures ? » La vieille Europe, terre d’origine de l’humanisme, n’est-elle pas en train de se marginaliser ?

Ne serait-il pas nécessaire dans le cas d’une nouvelle médecine évolutionniste, de disposer d’une nouvelle éthique médicale ?

Pour l’instant suivons les conseils de Pascal Picq :

« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’autrui te fasse.

Ne laisse pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’autrui te fasse ou à tes proches

Fais à autrui ce que tu pourrais vouloir qu’autrui te fasse à toi et à tes proches. »

(Pour terminer regardons ce très joli plat en émaux de Longwy sur lequel est peint un Phoenix, oiseau mythique qui est censé renaître de ses cendres, et qui augure peut- être des progrès médicaux à venir, qui nous dispenseraient de nombreuses turpitudes.)

Bibliographie citée

Besnier, Jean-Michel, Demain les posthumains, Ed. Arthème Fayard/Pluriel, 2012.
Le Breton, David, L’adieu au corps, Ed. Metaillé, 1999.
Picq, Pascal, Le nouvel âge de l’humanité, Ed. Allary, 2018.
Vallancien, Guy, Homo Artificialis, Ed. Michalon, 2017.