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Fardeau des maladies ostéoarticulaires : L'étude "Global Burden of Disease"

Entretien avec Pr. Francis Guillemin

L'étude mondiale sur le fardeau de la maladie : Global Burden of Disease (GBD) est l'étude épidémiologique observationnelle internationale la plus complète à ce jour. Elle décrit la mortalité et la morbidité des principales maladies, blessures et facteurs de risque pour la santé au niveau mondial, national et régional. La dernière étude GBD parue dans la revue Lancet 2016, met en évidence le fardeau et l’impact des maladies ostéoarticulaires, désormais premières en termes d’ « Années de vie vécues avec une incapacité ». Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre du Professeur Francis Guillemin, Médecin Coordinateur du Centre d’investigation clinique – Epidémiologie clinique, CHRU de Nancy-Hopitaux de Brabois.

Vous avez participé à l’étude épidémiologique GDB 2015 publiée dans la revue scientifique The Lancet en 2016 et portant sur la prévalence et le fardeau liés à 310 maladies différentes à travers le monde. Qu’est- ce que la GBD ? Comment se déroule concrètement cette étude ?

La « Global Burden of Disease Study » ou GBD est une initiative lancée dans les années 1990, pilotée par un groupe d’étude international et soutenue par l’OMS, avec l’objectif de collecter le maximum de données épidémiologiques existantes sur les maladies dans différents pays du monde. Le projet était très ambitieux puisque très peu de données existaient à l’époque sur les maladies. En effet, l’OMS, en essayant de faire injonction aux gouvernements, arrivait à collecter des données propres aux dynamiques de population telles que taux de natalité, taux de mortalité… Mais, les données sur les maladies restaient très difficiles à obtenir. L’idée de fédérer tous les travaux scientifiques réalisés dans le monde a alors émergé et la première collecte des données épidémiologiques relatives à la période allant de 1990 jusqu’à 2010 a été publiée en 2012. Une autre série de données a été publiée en 2015. Depuis, et grâce à l’évolution des moyens technologiques, des travaux de recherche ont pu générer et synthétiser plus de 9 milliards d’estimation de données et les groupes d’étude se sont engagés à publier des actualisations annuelles des études GBD.

Cette étude démontre que les maladies rhumatismales arrivent en premières places en termes de « fardeau de la maladie ». Comment est évalué le fardeau lié à une maladie? Que signifie-t-il concrètement ?

 

Auparavant, les données épidémiologiques collectées sur les maladies concernaient essentiellement l’incidence qui est fréquence des nouveaux cas au cours d’une période donnée, et la prévalence correspondant au nombre de cas existants à un instant donné. Nous nous sommes rendu compte que ces paramètres n’informaient pas suffisamment sur le poids des maladies, c’est-à-dire sur leur conséquences dans la vie quotidienne des individus et pour la société. C’est ce qui caractérise sa morbidité. Par exemple, les maladies rhumatismales ont un faible taux de mortalité, comparé au cancer notamment, mais le poids lié à la maladie est plus important, dure plus longtemps et elles ont donc une plus forte morbidité. Le vécu et le poids de la maladie sont donc des paramètres d’autant plus importants qu’ils conditionnent le recours aux soins. Deux indicateurs permettent la mesure du fardeau des maladies : les Années de vie perdues par mortalité prématurée (AVP) et les Années de vie vécues avec une incapacité (AVI)

Les calculs des deux indicateurs, ainsi que le calcul des Années de vie corrigées de l’incapacité (AVCI) permettent de mesurer la réalité fonctionnelle des maladies que l’on peut ainsi classer sur une échelle de gravité de l’incapacité. La prise en compte de ces indicateurs dans la GBD 2015 a permis de faire émerger les maladies musculo-squelettiques comme 2ème maladies les plus prépondérantes après les maladies mentales. En effet, nous nous rendons compte, par exemple, qu’avoir une arthrose sévère est plus grave qu’avoir une polyarthrite rhumatoïde modérée en termes d’incapacité. De même, avoir une polyarthrite rhumatoïde modérée serait plus grave que d’avoir une insuffisance cardiaque sévère. Nous constatons également que le fardeau lié à une polyarthrite sévère est plus important que celui d’un cancer métastatique ou d’un AVC compte tenu de la gravité et de la durée de la gravité.

Echelle incapacité

Les résultats de cette étude sont édifiants : Les troubles musculo-squelettiques occupent trois des principales 25 causes d'invalidité en 2015 : les douleurs du cou et du bas du dos sont la première cause d’invalidité (en AVI, fardeau) au monde, avec un fort pourcentage chez les 15-39 ans. Comment expliquez-vous cette évolution ?

 

Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) énoncés en 2000 se concentraient essentiellement sur l’évaluation et la quantification des risques sur la santé. Aujourd’hui nous savons que les problèmes de santé ont des impacts plus larges qui peuvent limiter l’accès à l’éducation, à la vie quotidienne, à l’emploi… Et on prend davantage le concept de l’incapacité en considération. Cette prise de conscience a permis de mieux appréhender certaines maladies comme les rhumatismes, d’affiner les méthodes de calcul de l’incapacité… C’est ainsi que nous avons observé une évolution des maladies ostéoarticulaires entre 2010 et 2015 et qu’elles occupent les premières places en termes de fardeau des maladies en AVI.

 

Tableau prevalence des rhumatismes

 

Cette étude permet de comparer toutes les données nationales et mondiales collectées sur le fardeau des maladies ostéoarticulaires: existe-il un déterminisme social ou des facteurs de risque liés à l’évolution de ces maladies ?

En ce qui concerne les maladies inflammatoires nous disposons de moins de données mais nous savons par exemple que les fumeurs sont plus exposés aux maladies inflammatoires et dégénératives. Le surpoids est également un facteur de risque de maladies inflammatoires. Nous savons par exemple que l’indice de masse corporelle (IMC) est particulièrement corrélé à l’arthrose du genou. D’une manière intéressante, nous avons constaté une corrélation entre la répartition géographique de la prévalence des arthroses de hanche et de genou en France et celle de l’obésité. C’est une simple corrélation mais il est tout de même intéressant de relever que, aussi bien obésité et arthrose sont plus fréquentes au Nord-Est de la France comparativement au Sud-Ouest.

Obésité France